Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/29

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longue ou courte. Encore un coup, chez Boileau la métaphore évidemment ne surgit presque jamais une, entière, indivisible et tout armée : il la compose, il l’achève à plusieurs reprises ; il la fabrique avec labeur, et l’on aperçoit la trace des soudures[1]. A cela près, et nos réserves une fois posées, personne plus que nous ne rend hommage à cette multitude de traits fins et solides, de descriptions artistement faites, à cette moquerie tempérée, à ce mordant sans fiel, à cette causerie mêlée d’agrément et de sérieux, qu’on trouve dans les bonnes pages de Boileau[2]. Il nous est impossible pourtant de ne pas préférer le style de Regnier ou de Molière.

Que si maintenant on nous oppose qu’il n’était pas besoin de tant de détours pour énoncer sur Boileau une opinion si

  1. Plus d’une fois, dans la suite des ces volumes, on trouvera des modifications apportées à cette théorie trop absolue que je donnais ici de la métaphore. La métaphore, je suis venu à le reconnaître, n’a pas besoin, pour être légitime et belle, d’être si complétement armée de pied en cap ; elle n’a pas besoin d’une rigueur matérielle si soutenue jusque dans le moindre détail. S’adressant à l’esprit et faite avant tout pour lui figurer l’idée, elle peut sur quelques points laisser l’idée elle-même apparaître dans les intervalles de l’image. Ce défaut de cuirasse, en fait de métaphore, n’est pas d’un grand inconvénient ; il suffit qu’il n’y ait pas contradiction ni disparate. Quelle que soit la beauté de l’image employée, l’esprit sait bien que ce n’est qu’une image, et que c’est à l’idée surtout qu’il a affaire. Il en est de la perfection métaphorique un peu comme de l’illusion scénique à laquelle il ne faut pas trop sacrifier dans le sens matériel, puisque l’esprit n’en est jamais dupe. Il y a même de l’élégance vraie et du gallicisme dans l’incomplet de certaines métaphores.
  2. Dans son éloge de Despréaux (Hist. de l’Acad. des Inscript.), M. de Boze a dit très-judicieusement : « Nous croyons qu’il est inutile de vouloir donner au public une idée plus particulière des Satires de M. Despréaux. Qu’ajouterions-nous à l’idée qu’il en a déjà ? Devenues l’appui ou la ressource de la plupart des conversations, combien de maximes, de proverbes ou de bons mots ont-elles fait naître dans notre langue ! et de la nôtre, combien en ont-elles fait passer dans celle des étrangers ! Il y a peu de livres qui aient plus agréablement exercé la mémoire des hommes, et il n’y en a certainement point qu’il fût aujourd’hui plus aisé de restituer, si toutes les copies et toutes les éditions en étoient perdues. »