Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/293

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lui par lui-même : « Ce Médor, si chéri des belles, est un homme de trente-sept à trente-huit ans, qui porte sur son visage et dans son humeur les traces de ses anciens chagrins ; qui passe quelquefois des semaines entières dans son cabinet, et qui emploie tous les jours sept ou huit heures à l’étude ; qui cherche rarement les occasions de se réjouir ; qui résiste même à celles qui lui sont offertes, et qui préfère une heure d’entretien avec un ami de bon sens à tout ce qu’on appelle plaisirs du monde et passe-temps agréables : civil d’ailleurs, par l’effet d’une excellente éducation, mais peu galant ; d’une humeur douce, mais mélancolique ; sobre enfin et réglé dans sa conduite. Je me suis peint fidèlement, sans examiner si ce portrait flatte mon amour-propre ou s’il le blesse. »

Le Pour et Contre nous offre aussi une foule d’anecdotes du jour, de faits singuliers, véritables ébauches et matériaux de romans ; l’histoire de dona Maria et la vie du duc de Riperda sont les plus remarquables. Un savant Anglais, M. Hooker, s’était plu, dans un journal de son pays, à développer une comparaison ingénieuse de l’antique retraite de Cassiodore avec l’Arcadie de Philippe Sydney et le pays de Forez au temps de Céladon. Cassiodore déjà vieux, comme on sait, et dégoûté de la cour par la disgrâce de Boëce, se retira au monastère de Viviers, qu’il avait bâti dans une de ses terres, et s’y livra avec ses religieux à l’étude des anciens manuscrits, surtout à celle des saintes Lettres, à la culture de la terre et à l’exercice de la piété. Prévost s’étend avec complaisance sur les douceurs de cette vie commune et diverse ; c’est évidemment son idéal qu’il retrouve dans ce monastère de Cassiodore ; c’est son Saint-Germain-des-Prés, son La Flèche, mais avec bien autrement de soleil, d’aisance et d’agréments. Et quant à la ressemblance avec l’Arcadie et le pays de Céladon, que l’écrivain anglais signale avec quelque malice, lui, il ne s’en effarouche aucunement, car il est persuadé, dit-il, « que dans l’Arcadie et dans le pays de Forez,