Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/34

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Et qui diffère tant, même en plein carrefour,
Du son rauque et menteur des trompettes du jour.

   Dans l’époque, à la fois magnifique et décente,
Qui comprit et qu’aida ta parole puissante,
Le vrai goût dominant, sur quelques points borné,
Chassait du moins le faux autre part confiné ;
Celui-ci hors du centre usait ses représailles ;
Il n’aurait affronté Chantilly ni Versailles,
Et, s’il l’avait osé, son impudent essor
Se fût brisé du coup sur le balustre d’or.
Pour nous, c’est autrement : par un confus mélange
Le bien s’allie au faux, et le tribun à l’ange.
Les Pradons seuls d’alors visaient au Scudery :
Lequel de nos meilleurs peut s’en croire à l’abri ?
Tous cadres sont rompus ; plus d’obstacle qui compte ;
L’esprit descend, dit-on : – la sottise remonte ;
Tel même qu’on admire en a sa goutte au front,
Tel autre en a sa douche, et l’autre nage au fond.
Comment tout démêler, tout dénoncer, tout suivre,
Aller droit à l’auteur sous le masque du livre,
Dire la clef secrète, et, sans rien diffamer,
Piquer pourtant le vice et bien haut le nommer ?
Voilà, cher Despréaux, voilà sur toute chose
Ce qu’en songeant à toi souvent je me propose,
Et j’en espère un peu mes doutes éclaircis
En m’asseyant moi-même aux bords où tu t’assis.
Sous ces noms de Cotins que ta malice fronde,
J’aime à te voir d’ici parlant de notre monde
À quelque Lamoignon qui garde encor ta loi :
Qu’auriez-vous dit de nous, Royer-Collard et toi ?

   Mais aujourd’hui laissons tout sujet de satire ;
À Bâville aussi bien on t’en eût vu sourire,
Et tu tâchais plutôt d’en détourner le cours,