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de paix de Lyon. Il mourut comme tant de Constituants illustres, comme tant de Girondins, fils de 89 et de 91, enfants de la Révolution, dévorés par elle, mais pieux jusqu’au bout, et ne la maudissant pas !

Parmi ses notes dernières et ses instructions d’économie à sa femme, je trouve encore ces lignes expressives, qui se rapportent à ce fils de qui il attendait tout : « Il s’en faut beaucoup, ma chère amie, que je te laisse riche, et même une aisance ordinaire ; tu ne peux l’imputer à ma mauvaise conduite ni à aucune dissipation. Ma plus grande dépense a été l’achat des livres et des instruments de géométrie dont notre fils ne pouvait se passer pour son instruction ; mais cette dépense même était une sage économie, puisqu’il n’a jamais eu d’autre maître que lui-même. »

Cette mort fut un coup affreux pour le jeune homme, et sa douleur ou plutôt sa stupeur suspendit et opprima pendant quelque temps toutes ses facultés. Il était tombé dans une espèce d’idiotisme, et passait sa journée à faire de petits tas de sable, sans que plus rien de savant s’y traçât. Il ne sortit de son état morne que par la botanique, cette science innocente dont le charme le reprit. Les Lettres de Jean-Jacques sur ce sujet lui tombèrent un jour sous la main, et le remirent sur la trace d’un goût déjà ancien. Ce fut bientôt un enthousiasme, un entraînement sans bornes ; car rien ne s’ébranlait à demi dans cet esprit aux pentes rapides. Vers ce même temps, par une coïncidence heureuse, un Corpus pœtarum latinorum, ouvert au hasard, lui offrit quelques vers d’Horace dont l’harmonie, dans sa douleur, le transporta, et lui révéla la muse latine. C’était l’ode à Licinius et cette strophe :

Saepius ventis agitatur ingens
Pinus, et celsae graviore casu
Decidunt turres, feriuntque summos
PinuFulmina montes.

Il se remit dès lors au latin, qu’il savait peu ; il se prit aux