Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/41

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Cela posé, nous nous garderons d’en faire une sévère application à l’ouvrage plein de recherches et de faits que vient de publier M. Taschereau sur Pierre Corneille[1]. Dans cette histoire, aussi bien que dans celle de Molière, M. Taschereau a eu pour but de recueillir et de lier tout ce qui nous est resté de traditions sur la vie de ces illustres auteurs, de fixer la chronologie de leurs pièces, et de raconter les débats dont elles furent l’occasion et le sujet. Il renonce assez volontiers à la prétention littéraire de juger les œuvres, de caractériser le talent, et s’en tient d’ordinaire là-dessus aux conclusions que le temps et le goût ont consacrées. Quand les faits sont clair-semés ou manquent, ce qui arrive quelquefois, il ne s’efforce point d’y suppléer par les suppositions circonspectes et les inductions légitimes d’une critique sagement conjecturale ; mais il passe outre, et s’empresse d’arriver à des faits nouveaux : de là chez lui des intervalles et des lacunes que l’esprit du lecteur est involontairement provoqué à combler. Les vies complètes, poétiques, pittoresques, vivantes en un mot, de Corneille et de Molière, restent à faire ; mais à M. Taschereau appartient l’honneur solide d’en avoir, avec une scrupuleuse érudition, amassé, préparé, numéroté en quelque sorte, les matériaux longtemps épars. Pour nous, dans le petit nombre d’idées que nous essaierons d’avancer sur Corneille, nous confessons devoir beaucoup au travail de son biographe ; c’est bien souvent la lecture de son livre qui nous les a suggérées.

L’état général de la littérature au moment où un nouvel auteur y débute, l’éducation particulière qu’a reçue cet auteur, et le génie propre que lui a départi la nature, voilà trois influences qu’il importe de démêler dans son premier chef-d’œuvre pour faire à chacune sa part, et déterminer nettement ce qui revient de droit au pur génie. Or, quand Corneille, né

  1. Ce morceau a été écrit à l’occasion de l’Histoire de la Vie et des Ouvrages de Pierre Corneille, par M. Jules Taschereau.