Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/52

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tact. Il portait dans les relations de la vie quelque chose de gauche et de provincial ; son discours de réception à l’Académie, par exemple, est un chef-d’œuvre de mauvais goût, de plate louange et d’emphase commune. Eh bien ! il faut juger de la sorte sa dédicace à Montauron, la plus attaquée de toutes, et ridicule même lorsqu’elle parut. Le bon Corneille y manqua de mesure et de convenance ; il insista lourdement là où il devait glisser ; lui, pareil au fond à ses héros, entier par l’âme, mais brisé par le sort, il se baissa trop cette fois pour saluer, et frappa la terre de son noble front. Qu’y faire ?  Il y avait en lui, mêlée à l’inflexible nature du vieil Horace, quelque partie de la nature débonnaire de Pertharite et de Prusias ; lui aussi, il se fût écrié en certains moments, et sans songer à la plaisanterie :

Ah ! ne me brouillez pas avec le Cardinal !
On peut en sourire, on doit l’en plaindre ; ce serait injure que de l’en blâmer.

Corneille s’était imaginé, en 1653, qu’il renonçait à la scène. Pure illusion ! Cette retraite, si elle avait été possible, aurait sans doute mieux valu pour son repos, et peut-être aussi pour sa gloire ; mais il n’avait pas un de ces tempéraments poétiques qui s’imposent à volonté une continence de quinze ans, comme fit plus tard Racine. Il suffit donc d’un encouragement et d’une libéralité de Fouquet, pour le rentraîner sur la scène où il demeura vingt années encore, jusqu’en 1674, déclinant de jour en jour au milieu de mécomptes sans nombre et de cruelles amertumes. Avant de dire un mot de sa vieillesse et de sa fin, nous nous arrêterons pour résumer les principaux traits de son génie et de son œuvre.

La forme dramatique de Corneille n’a point la liberté de fantaisie que se sont donnée Lope de Vega et Shakspeare, ni la sévérité exactement régulière à laquelle Racine s’est assujetti. S’il avait osé, s’il était venu avant d’Aubignac, Mairet,