Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/99

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Il ne dirait pas dans ses chœurs, quand il fait parler l’impie voluptueux :

Ainsi qu’on choisit une rose
Dans les guirlandes de Sarons,
Choisissez une vierge éclose
Parmi les lis de vos vallons :
Enivrez-vous de son haleine,
Écartez ses tresses d’ébène,
Goûtez les fruits de sa beauté.
Vivez, aimez, c’est la sagesse :
Hors le plaisir et la tendresse,
Tout est mensonge et vanité.

Il ne dirait pas davantage :

O tombeau ! vous êtes mon père ;
Et je dis aux vers de la terre :
Vous êtes ma mère et mes sœurs.

L’avouerai-je ? Esther, avec ses douceurs charmantes et ses aimables peintures, Esther, moins dramatique qu’Athalie, et qui vise moins haut, me semble plus complète en soi, et ne laisser rien à désirer. Il est vrai que ce gracieux épisode de la Bible s’encadre entre deux événements étranges, dont Racine se garde de dire un seul mot, à savoir le somptueux festin d’Assuérus, qui dura cent quatre-vingts jours, et le massacre que firent les Juifs de leurs ennemis, et qui dura deux jours entiers, sur la prière formelle de la Juive Esther. À cela près, ou plutôt même à cause de l’omission, ce délicieux poëme, si parfait d’ensemble, si rempli de pudeur, de soupirs et d’onction pieuse, me semble le fruit le plus naturel qu’ait porté le génie de Racine. C’est l’épanchement le plus pur, la plainte la plus enchanteresse de cette âme tendre qui ne savait assister à la prise d’habit d’une novice sans se noyer dans les larmes, et dont madame de Maintenon écrivait : « Racine, qui veut pleurer, viendra à la profession de la sœur Lalie. » Vers ce même temps, il composa pour Saint-Cyr