Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/12

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des réformes d’abbayes, et au sein de l’Université, de la Sorbonne, pour rallier la milice de Jésus-Christ, pour reconstituer la doctrine. En littérature cela se voit et se traduit évidemment. A la littérature gauloise, grivoise et irrévérente des Marot, des Bonaventure Des Periers, Rabelais, Regnier, etc. ; à la littérature païenne, grecque, épicurienne, de Ronsard, Baïf, Jodelle, etc., philosophique et sceptique de Montaigne et de Charron, en succède une qui offre des caractères bien différents et opposés. Malherbe, homme de forme, de style, esprit caustique, cynique même, comme M. de Buffon l’était dans l’intervalle de ses nobles phrases, Malherbe, esprit fort au fond, n’a de chrétien dans ses odes que les dehors ; mais le génie de Corneille, du père de Polyeucte et de Pauline, est déjà profondément chrétien. D’Urfé l’est aussi. Balzac, bel esprit vain et fastueux, savant rhéteur occupé des mots, a les formes et les idées toutes rattachées à l’orthodoxie. L’école de Port-Royal se fonde ; l’antagoniste du doute et de Montaigne, Pascal apparaît. La détestable école poétique de Louis XIII, Boisrobert, Ménage, Costar, Conrart, d’Assoucy, Saint-Amant, etc., ne rentre pas sans doute dans cette voie de réforme ; elle est peu grave, peu morale, à l’italienne, et comme une répétition affadie de la littérature des Valois. Mais tout ce qui l’étouffe et lui succède sous Louis XIV se range par degrés à la foi, à la régularité : Despréaux, Racine, Bossuet. La Fontaine lui-même, au milieu de sa bonhomie et de ses fragilités, et tout du xvie siècle qu’il est, a des accès de religion lorsqu’il écrit la Captivité de saint Malc, l’Épître à madame de La Sablière, et qu’il finit par la pénitence. En un mot, plus on avance dans le siècle dit de Louis XIV, et plus la littérature, la poésie, la chaire, le théâtre, toutes les facultés mémorables de la pensée, revêtent un caractère religieux, chrétien, plus elles accusent, même dans les sentiments généraux qu’elles expriment, ce retour de croyance à la révélation, à l’humanité vue dans et par Jésus-Christ ; c’est là un des traits les plus caractéristiques et profonds de cette littérature immortelle.