Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/133

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qu’il essayait d’embrasser et de deviner par un composé d’étude ingénieuse, mais partielle, et d’inductions illusoires. M. de Humboldt, de nos jours, pour les grandes observations végétales en divers climats, a donné sur plus d’un point consistance et réalité scientifique à ce qui n’existait chez Bernardin qu’à l’état de vue attrayante et passagère ; Lamartine, de son côté, a repris en pur poëte bien des inspirations de Bernardin, et les a rajeunies, fécondées. Mais cette union, chez Bernardin, du demi-savant, du poëte et du peintre, cette combinaison mixte qui ne pouvait se transmettre ni faire école utilement, soit pour les savants, soit pour les poëtes, fut du moins belle et séduisante en lui. Tant de notions amassées de partout sur les plantes, sur les climats, tant de maximes morales sur la société et sur l’homme, ce mélange de vérités, d’hypothèses et de chimères, venant à se rencontrer sous des inclinaisons favorables vers l’horizon attiédi, peignirent divinement le nuage et firent tout d’abord arc-en-ciel.

L’arc-en-ciel est resté et se voit encore. Les Études, si incomplètes qu’elles paraissent à trop d’égards, demeurent comme une révélation de la nature, qui ne se trouve que là. Quiconque est sensible de cœur, quiconque est né voyageur par instinct ou poëte, lit un jour Bernardin et est initié par lui. Si ce peintre harmonieux manquait, on chercherait vainement ailleurs une impression pareille, soit dans Jean-Jacques, soit dans Chateaubriand. Nul autre que lui n’a également chasteté et mollesse. Lamartine, qui nous offre tant de parenté de génie avec l’auteur des Études, est moins exclusivement un peintre, et sa poésie suscite des émotions élégiaques plus compliquées. Quelle est donc l’innocente et poétique enfance dans laquelle Bernardin de Saint-Pierre et ses Études n’aient pas été une heure mémorable et charmante, comme le premier rayon de lune amoureuse, comme une aube idéale à jamais regrettée[1] ?

  1. Girodet dans Endymion, Prudhon surtout en quelques-unes de