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PORTRAITS LITTÉRAIRES.

(1803), et dans lesquelles le profond spiritualiste et théosophe développe ses propres jugements critiques sur les illustres littérateurs de son temps ; Bernardin de Saint-Pierre doit en emporter sa part avec La Harpe et l’auteur du Génie du Christianisme. Il y est montré dans une essentielle discussion que « Milton a copié les amours d’Adam et d’Ève sur les amours de la Terre, quoiqu’il en ait magnifiquement embelli les couleurs ; mais il n’avait trempé tout au plus qu’à moitié son pinceau dans la vérité. »

Le grand succès de vente des Études mit l’auteur à même d’acheter une petite maison rue de la Reine-Blanche, à l’extrémité de son faubourg. C’est dans ce séjour qu’il travailla à perfectionner et à enrichir les éditions successives des Études. Le roman de Paul et Virginie parut pour la première fois en 1788 comme un simple volume de plus à la suite ; mais on en fit, aussitôt après, des éditions à part, sans nombre. Tous les enfants qui naissaient en ces années se baptisaient Paul et Virginie, comme précédemment on avait fait à l’envi pour les noms de Sophie et d’Émile. Bernardin, du fond de son faubourg Saint-Marceau, devenait le parrain souriant de toute une génération nouvelle. Sa Chaumière indienne, publiée en 1791, fut introduite également dans les Études, et, à partir de ce moment, son œuvre générale peut être considérée comme achevée ; car les Harmonies, qui ont de si belles pages, ne sont que les Études encore et toujours. Bernardin de Saint-Pierre n’est pas un de ces génies multiples et vigoureux qui se donnent plusieurs jeunesses et se renouvellent ; il y gagne en calme ; il ne nous paraît ni moins doux ni moins beau pour cela. Les Études donc, en y comprenant Paul et Virginie et la Chaumière, nous le présentent tout entier.

Un ouvrage comme Paul et Virginie est un tel bonheur dans la vie d’un écrivain, que tous, si grands qu’ils soient, doivent le lui envier, et que, lui, peut se dispenser de rien envier à personne. Jean-Jacques, le maître de Bernardin, et supérieur à son disciple par tant de qualités fécondes et fortes,