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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/202

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remuer pour quoi que ce fût. » Il écrivait encore à cette date : « Tout est bon, excepté la monarchie aristocratico-arbitraire et la république despotique. » Il est vrai qu’en 1830 son cœur devait être redevenu plus exigeant ; les années de lutte, sous la Restauration, lui avaient fait croire à une forte et stable reconstitution d’esprit public ; ce n’était plus comme en ce temps de 1799, où il disait : nos amis (les constitutionnels) qu’il est impossible de faire sortir de leur trou. Ici tout le monde était en ligne. Cette Restauration, contre les excès de laquelle on s’entendait si bien, me fait l’effet d’avoir été le plus prolongé et le plus illusoire des rideaux. Quand il se déchira, tout ce qui n’était uni qu’en face se rompit du coup. La Fayette, en 1799, écrivait à merveille sur les périls du dehors qu’on exagérait : « Dans tout ce qui regarde l’opposition aux étrangers, il y a toujours un moment où notre nation semble rebondir et dérange toutes les espérances de la politique. » Il avait pu oublier en 1830, au lendemain des trois jours, cette maxime inverse et qui n’est pas moins vraie, que, dans tout ce qui concerne la pratique intérieure et l’organisation sérieuse des garanties, il y a toujours un moment où notre nation, si près qu’elle en soit, échappe et déconcerte toutes les espérances du patriotisme. Pourtant, encore une fois, la lettre à M. de Maubourg et celles qu’il écrivait à cette époque me prouvent que La Fayette se serait résigné, en 1799, à quelque chose de semblable à l’ordre actuel, ou même de moins bien, et qu’entre ce qu’on a et lui il n’y a, au fond, que de ces nuances qui se perdent et se regagnent constitutionnellement. Cela n’empêche pas qu’on ne l’ait vu, à un certain moment, mécontent de l’œuvre à laquelle il avait aidé ; il se crut joué, il se repentit. La conclusion, nullement politique, et toute morale, que j’en veux tirer, c’est que la réalisation d’un ordre rêvé est toujours inférieure à l’idéal, même le plus modéré, qu’on s’en faisait ; que les imperfections et les insuffisances, non-seulement des hommes, mais des principes, se font sentir et sortent de toutes