Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sensible sans grande passion, plus il devient précieux d’en étudier de près l’originalité au sein même de cette ressemblance. Si le poëte n’a pas fait assez, s’il a trop négligé d’élever ou d’achever son monument, cela s’explique encore et doit sembler tout naturel ; c’est qu’un instinct secret lui disait : « La grande place est remplie, l’aïeul la tient. Il suffit que moi, qui viens tard, je ne sois pas indigne de lui, que je l’honore par mon goût dans un siècle bien différent déjà, et que jamais du moins je n’aie faussé son lointain et supérieur accord par mes accents. » Dans cette sobriété et cette paresse même du poëte, se retrouve donc un sentiment touchant, modeste, et qu’on peut dire pieux. Je n’invente pas : M. de Fontanes le nourrissait en son cœur et l’a exprimé en plus d’un endroit. Dans son ode sur la littérature de l’Empire, rappelant les modèles du grand Siècle, beaucoup moins méconnus et moins offensés alors par les doctrines que par les œuvres du jour, il se borne, lui, pour toute ambition, au rôle de Silius, à celui de Stace disant à sa muse :

...... Nec tu divinam Aeneida tenta,
Sed longe sequere, et vestigia semper adora !

De Virgile ainsi, dans Rome,
Quand le goût s’était perdu,
Silius à ce grand homme
Offrait un culte assidu ;
Sans cesse il nommait Virgile ;
Il venait, loin de la ville,
Sur sa tombe le prier ;
Trop faible, hélas ! pour le suivre,
Du moins il faisait revivre
Ses honneurs et son laurier.

Et il avait autrement droit de se rendre ce témoignage, et de se dire ainsi l’adorateur domestique de Racine, que Silius pour Virgile.