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cien. Quelle qu’ait été l’apparence bien contraire de nos débuts, nous avons toujours, dans notre liberté d’esprit, distingué, à la limite du genre classique, cette figure de Fontanes comme une de celles qu’il nous plairait de pouvoir approcher, et, dans le voile d’ombre qui la couvrait déjà à demi, elle semblait nous promettre tout bas plus qu’elle ne montrait. Sensible (par pressentiment) à l’outrage de l’oubli pour les poëtes, nous nous demandions si tout avait péri de cette muse discrète dont on ne savait que de rares accents, si tout en devait rester à jamais épars, comme, au vent d’automne, des feuilles d’heure en heure plus égarées. L’idée nous revenait par instants de voir recueillis ces fragments, ces restes, disjecti membra pœtœ, de savoir où trouver enfin, où montrer l’urne close et décente d’un chantre aimable qui fut à la fois un dernier-venu et un précurseur. C’était donc déjà pour nous un caprice et un choix de goût, une inconstance de plus si l’on veut, mais j’ose dire aussi une piété de poésie, avant d’être, comme aujourd’hui, un honneur[1].

Louis de Fontanes naquit à Niort, le 6 mars 1737, d’une famille ancienne, mais que les malheurs du temps et les persécutions religieuses avaient fait déchoir. L’étoile du berceau de madame de Maintenon semble avoir jeté quelque influence de goût, d’esprit et de destinée sur le sien. La famille Fontanes, autrefois établie dans les Cévennes (comté d’Alais), y avait possédé le fief d’Apennès ou des Apennès, dont le nom lui était resté (Fontanes des Apennés) : un village y portait aussi le nom de Fontanes. Mais, à l’époque où naquit le poëte, ce n’étaient plus là que des souvenirs. Sa famille, comme protestante, ne vivait, depuis la révocation de l’Édit de Nantes, que d’une vie précaire, errante et presque clandestine. Son grand-père, son père même étaient protestants ; il ne le fut pas. Sa mère, catholique, avait, en se mariant, exigé que ses fils ou filles entrassent dans la communion dominante.

  1. Cette Notice a été écrite en vue de l’édition des œuvres.