Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/241

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chargé à mitraille. Ils tombent les uns sur les autres frappés par la foudre, et, souvent mutilés, ont le malheur de ne perdre, à la première décharge, que la moitié de leur vie. Les victimes qui respirent encore, après avoir subi ce supplice, sont achevées à coups de sabres et de mousquets. La pitié même d’un sexe faible et sensible a semblé un crime : deux femmes ont été traînées au carcan pour avoir imploré la grâce de leurs pères, de leurs maris et de leurs enfants. On a défendu la commisération et les larmes. La nature est forcée de contraindre ses plus justes et ses plus généreux mouvements, sous peine de mort. La douleur n’exagère point ici l’excès de ses maux ; ils sont attestés par les proclamations de ceux qui nous frappent. Quatre milles têtes sont encore dévouées au même supplice ; elles doivent être abattues avant la fin de frimaire. Des suppliants ne deviendront point accusateurs : leur désespoir est au comble, mais le respect en retient les éclats ; ils n’apportent dans ce sanctuaire que des gémissements et non des murmures. » Les murmures, les frémissements éclatèrent ; ce furent un moment ceux de la pitié. Il est vrai qu’ils durèrent peu. En vain Camille Desmoulins hasarda dans son Vieux Cordelier quelques maximes tardives d’humanité. Collot-d’Herbois accourut de Lyon et se justifia. On mit en arrestation les envoyés lyonnais ; on se demandait qui les avait inspirés, qui avait pu faire à la Convention, par leur bouche, cette étrange et pathétique surprise. Garat eut le bon goût de deviner et la légèreté de nommer Fontanes[1].

Celui-ci ne fut pas arrêté, ou du moins il ne le fut que durant trois fois vingt-quatre heures, et par mégarde, comme s’étant trouvé dans la voiture de M. de Langeac, son ami, à

  1. Il le nomma au sein du Comité de sûreté générale. – On peut voir au tome XXX de l’Histoire parlementaire de la Révolution française, pages 381, 382, 392 et suivantes, les détails des deux séances de la Convention, 20 et 21 décembre, et la discussion du chiffre vrai des mitraillés.