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Quand vous serez maître de Constantinople et du Sérail, je vous promets de mauvais vers que vous ne lirez pas, et les éloges de toutes les femmes, qui vaudront mieux que les vers pour un héros de votre âge. Suivez vos grands projets, et ne revenez surtout à Paris que pour y recevoir des fêtes et des applaudissements.

F. »


Si Bonaparte lut la lettre (comme c’est très-possible), son goût pour Fontanes doit remonter jusque-là[1].

Le 18 fructidor, en frappant le journaliste, eut pour effet, par contre-coup, de réveiller en Fontanes le poète, qui se dissipait trop dans cette vie de polémique et de parti. Laissant madame de Fontanes à Paris, il se déroba à la déportation par la fuite, quitta la France, passa par l’Allemagne en Angleterre, et y retrouva M. de Chateaubriand, qu’il avait déjà connu en 89. C’est à l’illustre ami de nous dire en ses Mémoires (et il l’a fait) cette liaison étroitement nouée dans l’exil, ces entretiens à voix basse au pied de l’abbaye de Westminster, ces doubles confidences du cœur et de la muse ; et puis les longs regards ensemble vers cette Argos dont on se ressouvient toujours, et qui, après avoir été quelque temps une

  1. Les Mémoires du savant botaniste de Candolle, récemment publiés (1862), contiennent une anecdote singulière sur Fontanes, laquelle se rapporte à cette époque voisine de fructidor. Sortant du Lycée où il avait entendu une leçon de La Harpe et revenant à pied avec Fontanes, de Candolle ne put s’empêcher de lui exprimer son étonnement du discours violent de La Harpe et de ce qu’il avait l’air d’y applaudir : « Ne vous y trompez pas, lui aurait dit Fontanes ; notre but n’est pas de rétablir la puissance des prêtres, mais il faut frapper l’opinion publique de l’utilité d’une religion, et ensuite nous avons l’intention de pousser la France au protestantisme. » De Candolle, qui croit avoir eu à se plaindre plus tard de Fontanes Grand-Maître, triomphe de la contradiction. Mais Fontanes, en 1797, était en effet vaguement et politiquement religieux plutôt que catholique, et, parlant à un protestant, il dit là une de ces choses en l’air qui traversent l’imagination d’un poète et dont sans doute il ne se souvenait pas le lendemain. Il est possible aussi que de Candolle, en se ressouvenant, ait trop précisé le dire de Fontanes.