Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Arracha nos aïeux au gland de Chaonie ;
Et la Religion, fille des immortels,
Autour de ta charrue éleva ses autels.
Par toi changea l’aspect de la nature entière.
On dit que Jasion, tout couvert de poussière,
Premier des laboureurs, avec toi fut heureux :
La hauteur des épis vous déroba tous deux ;
Et Plutus, qui se plaît dans les cités superbes,
Naquit de vos amours sur un trône de gerbes.

Ce sont là de ces beautés primitives, abondantes, dignes d’Ascrée, comme Lucrèce les retrouvait dans ses plus beaux vers : l’image demi-nue conserve chasteté et grandeur.

Vers 1812, Fontanes vieillissant, et enfin résigné à vieillir, eut dans le talent un retour de séve verdissante et comme une seconde jeunesse :

Ce vent qui sur nos âmes passe
Souffle à l’aurore, ou souffle tard.

Ces années du déclin de la vie lui furent des saisons de progrès poétique et de fertilité dans la production : signe certain d’une nature qui est forte à sa manière. Qu’on lise son ode sur la Vieillesse : il y a exprimé le sentiment d’une calme et fructueuse abondance dans une strophe toute pleine et comme toute savoureuse de cette douce maturité :

Le temps, mieux que la science,
Nous instruit par ses leçons ;
Aux champs de l’expérience
J’ai fait de riches moissons ;
Comme une plante tardive,
Le bonheur ne se cultive
Qu’en la saison du bon sens :
Et, sous une main discrète,
Il croîtra dans la retraite
Que j’ornai pour mes vieux ans.

S’il n’a pas plus laissé, il en faut moins accuser sa facilité, au fond, qui était grande, que sa main trop discrète et sa vue