Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/322

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«  Je vous vois où vous êtes avec grand plaisir. Le temps permet aux gens de bien de vivre partout où ils veulent. La terre et le ciel sont changés. Heureux ceux qui, toujours les mêmes, sont sortis purs de tant de crimes et sains de tant d’affreux périls ! Vive à jamais la liberté ! » Noble soupir de délivrance qui s’exhale d’une poitrine généreuse longtemps oppressée ! Le chapitre si remarquable de ses Pensées, intitulé Politique, nous le montre revenu à l’autre pôle, c’est-à-dire à l’école monarchique, à l’école de ceux qu’il appelle les sages : « Liberté ! liberté ! s’écriait-il alors comme pour réprimander son premier cri ; en toutes choses point de liberté ; mais en toutes choses justice, et ce sera assez de liberté. » Il disait : « Un des plus sûrs moyens de tuer un arbre est de le déchausser et d’en faire voir les racines. Il en est de même des institutions ; celles qu’on veut conserver, il ne faut pas trop en désenterrer l’origine. Tout commencement est petit. » Je dirai encore cette magnifique pensée qui, dans son anachronisme, ressemble à quelque post-scriptum retrouvé d’un traité de Platon ou à quelque sentence dorée de Pythagore : « La multitude aime la multitude ou la pluralité dans le gouvernement. Les sages y aiment l’unité.

« Mais, pour plaire aux sages et pour avoir la perfection, il faut que l’unité ait pour limites celles de sa juste étendue, que ses limites viennent d’elle ; ils la veulent éminente et pleine, semblable à un disque et non pas semblable à un point. »

En songeant à ses erreurs, à ce qu’il croyait tel, il ne s’irritait pas ; sa bienveillance pour l’humanité n’avait pas souffert : « Philanthropie et repentir, c’est ma devise. »

Trompé par une ressemblance de nom, nous avons d’abord cru et dit que, comme administrateur du département de la Seine, il contribua à la formation des Écoles centrales ; nous avions sous les yeux un discours qu’un M. Joubert prononça à une rentrée solennelle de ces écoles en l’an V : ce n’était pas le nôtre. La seule fonction publique de M. Joubert durant