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LEONARD[1]


Dans mon goût bien connu pour les poëtes lointains et plus qu’à demi oubliés, pour les étoiles qui ont pâli, j’avais toujours eu l’idée de revenir en quelques pages sur un auteur aimable dont les tableaux riants ont occupé quelques matinées de notre enfance, et dont les vers faciles et sensibles se sont gravés une fois dans nos mémoires encore tendres. Mais, tout en berçant ce petit projet, je le laissais dormir avec tant d’autres plus graves et qui ont toute chance de ne jamais éclore. Je ne m’attendais pas que parler de Léonard pût redevenir une occasion qu’il fallût saisir au passage, un rapide et triste à-propos.

C’est un âge en tout assez fâcheux pour le poëte entré dans la postérité (s’il n’est pas décidément du petit nombre des seuls grands et des immortels) que de devenir assez ancien déjà pour être hors de mode et paraître suranné d’élégance, et de n’être pas assez vieux toutefois pour qu’on l’aille rechercher à titre de curiosité antique ou de rareté refleurie. La plupart de nos poëtes agréables du xviiie siècle se trouvent aujourd’hui dans ce cas ; ils ne sont pas encore passés à l’état de poëtes du xvie siècle. Il y a là, pour les noms qui survivent, un âge intermédiaire, ingrat, qui ne sollicite plus

  1. Cet article a été donné au Journal des Débats (21 avril 1843), avec destination aux victimes du tremblement de terre de la Guadeloupe : l’humble obole marquée au nom de Léonard revenait de droit à ses infortunés compatriotes.