Dis-moi, la clef de ce mystère,
L’emporteras-tu dans le ciel ?
Sans prétendre sonder, à mon tour, le secret de cette destinée de poëte et mettre la main sur la clef fuyante de son cœur, il me semble, à voir jusqu’à la fin sa solitaire imagination se dévorer comme une lampe nocturne et la flamme sans aliment s’égarer chaque soir aux lieux déserts, – il me semble presque certain que cette jeune Fille idéale, cet Ange de poésie, celle que M. de Chateaubriand a baptisée la Sylphide, fut réellement le seul être à qui appartint jamais tout son amour ; et comme il l’a dit dans d’autres stances du même temps :
C’est l’Ange envolé que je pleure,
Qui m’éveillait en me baisant,
Dans des songes éclos à l’heure
De l’étoile et du ver-luisant.
Toi qui fus un si doux mystère,
Fantôme triste et gracieux,
Pourquoi venais-tu sur la terre
Comme les Anges sont aux cieux ?
Pourquoi dans ces plaisirs sans nombre,
Oublis du terrestre séjour,
Ombre rêveuse, aimai-je une Ombre
Infidèle à l’aube du jour[1] ?
De ces premières saisons de Bertrand, en ce qu’elles avaient de suave, de franc malgré tout et d’heureux, rien ne saurait nous laisser une meilleure idée qu’une page toute naturelle, qu’il a retranchée ensuite de son volume de choix, précisé-
- ↑ Plus tard pourtant, si nous en croyons quelques légers indices, il aurait aimé moins vaguement, ou cru aimer ; mais, même alors, le meilleur de son cœur dut être toujours pour l’Ange et pour l’Ombre.