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LE  COMTE  DE  SÉGUR


Les écrivains polygraphes sont quelquefois difficiles à classer ; s’ils se sont répandus sur une infinité de genres et de sujets, sur l’histoire, la politique du jour, la poésie légère, les essais de critique et les jeux du théâtre, on cherche leur centre, un point de vue dominant d’où l’on puisse les saisir d’un coup d’œil et les embrasser. Quelquefois ce point de vue manque ; le jugement qu’on porte sur eux s’étend alors un peu au hasard et demeure dispersé comme leur vie et les productions mêmes de leur plume. Mais on est heureux lorsqu’à travers cette variété d’emplois et de talents on arrive de tous les côtés, on revient par tous les chemins au moraliste et à l’homme, à une physionomie distincte et vivante qu’on reconnaît d’abord et qui sourit.

C’est ce qui doit nous rassurer aujourd’hui que nous avons à parler de M. de Ségur. Sa longue vie, traversée de tant de vicissitudes, serait intéressante à coup sûr, peu aisée pourtant à dérouler dans son étendue et à rassembler : lui-même, en la racontant, il s’est arrêté après la période brillante de sa jeunesse. Ses ouvrages littéraires sont nombreux, divers, nés au gré des mille circonstances : ses œuvres dites complètes ne les renferment pas tout entiers. Mais à travers tout, ce qui importe le plus, l’homme est là pour nous guider et nous rappeler ; il reparaît en chaque ouvrage et dans les intervalles avec sa nature expressive et bienveillante, avec