Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/382

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demeurèrent attachés au sol de la France lorsqu’il n’était déjà plus qu’une arène embrasée. Son père le maréchal fut incarcéré à la Force, et lui détenu avec sa famille dans une maison de campagne à Châtenay, celle même où l’on dit qu’est né Voltaire. Le volume intitulé Recueil de Famille nous le montre, en ces années de ruine, plein de sérénité et de philosophie, adonné aux vertus domestiques, égayant, dès que le grand moment de Terreur fut passé, les tristesses et les misères des êtres chéris qui l’entouraient. Son esprit n’avait jamais plus de vivacité que quand il servait son cœur. Chaque événement, chaque anniversaire de cette vie intérieure était célébré par de petites comédies, par des vaudevilles qu’on jouait entre soi, par de gais ou tendres couplets qui parfois circulaient au delà : quelques personnes de cette société renaissante se rappellent encore la chanson qui a pour titre : les Amours de Laure. En même temps, dès qu’il le put, M. de Ségur reprit son rôle de témoin attentif aux choses publiques ; de Châtenay il accourait souvent à Paris ; il voyait beaucoup Boissy-d’Anglas et les hommes politiques de cette nuance. S’il ne fut point lui-même à cette époque membre des assemblées instituées sous le régime de la Constitution de l’an III, s’il n’eut point l’honneur de compter parmi ceux qui, comme les Siméon, les Portalis, luttèrent régulièrement pour la cause de l’ordre, de la modération et des lois, et qui, eux aussi, suivant une expression mémorable, faisaient alors au civil leur Campagne d’Italie[1], il la fit au dehors du moins

    cié à sa valeur, et il fut trop heureux d’obtenir d’être ministre à Berlin. Traité avec le plus grand mépris dans cette Cour, et privé de l’espoir de jouer un rôle à Paris, la mort lui parut être sa seule ressource ; mais il porta sur lui une main mal assurée ; le courage manqua à ce nouveau Caton, pour achever… L’amour de la vie prévalut, un chirurgien fut appelé, et le comte prouva qu’il ne savait ni vivre ni mourir. » Quand on a eu affaire dans sa vie à des haines aussi cruelles et aussi envenimées que cette page en fait supposer, on a quelque mérite à n’avoir jamais pratiqué qu’indulgence et bienveillance, comme l’a fait M. de Ségur.

  1. Éloge de M. Siméon, par M. le comte Portalis, p. 24.