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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/389

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en souriant dans le réel de la vie. Un des Essais nous le résume surtout et nous le rend dans sa physionomie habituelle et dans l’esprit qui ne cessait de l’animer ; c’est le morceau sur la Bienveillance : « Il est une vertu, dit-il, la plus douce et la plus éclairée de toutes, un sentiment généreux plus actif que le devoir, plus universel que la bienfaisance, plus obligeant que la bonté… » Qu’on lise le reste de l’Essai, on l’y trouvera tout entier. La bienveillance, comme il l’entend, n’est autre que la charité sécularisée, se souvenant et se rapprochant de son étymologie de grâce, telle qu’il l’avait entrevue dans sa jeunesse chez madame Geoffrin, telle qu’il l’eût pu désigner non moins heureusement par un nom plus moderne de femme dont c’est le don accompli et l’immortelle couronne[1].

Ces pages agréables et sensibles de la Galerie eurent leur récompense que les livres de morale n’obtiennent pas toujours. Si elles firent alors plaisir à beaucoup, elles firent du bien à quelques-uns. L’indulgence pratique et communicative qu’elles respirent ne fut pas toute stérile. Un jour, en avril 1822, M. de Ségur reçut une lettre timbrée de Montpellier dont voici quelques extraits :

« Monsieur le comte,

Souffrez qu’un inconnu vous rende un hommage qui doit au moins avoir cela de flatteur pour vous, que vous y reconnaîtrez, j’en suis sûr, le langage de la vérité. Jouet d’une basse et odieuse intrigue… (et ici suivent quelques détails particuliers)…, – le temps me vengera, me disais-je, c’est inévitable ; et je brûlais du désir de voir ce temps s’écouler, et mon âme se livrait à un sentiment haineux, à un espoir, à un désir de vengeance qui troublaient toutes mes facultés morales, qui minaient, qui consumaient toutes mes facultés physiques… j’étais malheureux, bien malheu-

  1. Madame Récamier.