Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/42

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homme et l’École des Femmes, appartiennent-elles à cette adorable folie comique dont j’ai tâché de donner idée, ou retombent-elles par moments dans la farce un peu enfarinée et bouffonne, comme l’a pensé Boileau en son Art poétique ? Je serais peut-être de ce dernier avis, sauf les conclusions trop générales qu’en tire le poëte régulateur :

Étudiez la cour et connoissez la ville ;
L’une et l’autre est toujours en modèles fertile.
C’est par là que Molière, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté le prix,
Si, moins ami du peuple en ses doctes peintures,
Il n’eût pas fait souvent grimacer ses figures,
Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin :
Dans ce sac ridicule où Scapin l’enveloppe,
Je ne reconnois plus l’auteur du Misanthrope.

Quant aux restrictions reprochées et reprochables à Boileau en cet endroit, son tort est d’avoir trop généralisé un jugement qui, appliqué à Scapin, pourrait sembler vrai au pied de la lettre. Cette pièce est effectivement imitée en partie du Phormion de Térence, et en partie de la Francisquine de Tabarin. De plus, en lisant convenablement le vers :
Dans ce sac ridicule où Scapin l’enveloppe[1]
(car Molière en cette pièce jouait le rôle de Géronte, et par conséquent il entrait en personne dans le sac), on conçoit l’impression pénible que causait à Boileau cette vue de l’auteur du Misanthrope, malade, âgé de près de cinquante ans et bâtonné sur le théâtre. Si nous eussions vu notre Talma à la scène dans la même situation subalterne, nous en aurions certes souffert. Je lis dans Cizeron-Rival le trait suivant, qui
  1. Cette ingénieuse correction, qui, une fois faite, paraît si nécessaire et si simple, est proposée par M. Daunou dans son excellent commentaire de Boileau.