Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/430

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Les Considérations sur la France peuvent elles-mêmes être considérées sous plus d’un aspect. Celui qui domine, cette idée de gouvernement providentiel dont nous parlons, qui s’y dessine en deux ou trois grands chapitres, et que l’auteur reprendra plus tard avec prédilection et raffinement, ne se produit ici que justifié par la grandeur même de la catastrophe : la voix de Dieu s’élance toute majestueuse du milieu des orages du Sinaï. En quoi la nation française est coupable ; en quoi les Ordres immolés ont mérité de l’être ; comment il y a solidarité au sein du même Ordre, comment la peine du coupable est réversible jusque sur l’innocent, et le mérite de celui-ci reversible à son tour sur la tête de l’autre ; quelle mystérieuse vertu fut de tout temps attachée au sacrifice et à l’effusion du sang humain sur la terre ; quelle effrayante dépense il s’en est fait depuis l’origine jusqu’aux derniers temps, à ce point que « le genre humain peut être considéré comme un arbre qu’une main invisible taille sans relâche, et qui va toujours en gagnant sous la faux divine : » — telles sont les hautes questions, tels les dogmes redoutables que remue en passant l’esprit religieux de l’auteur ; et à la façon dont il les soulève, nul, après l’avoir lu, même parmi les incrédules, ne sera tenté de railler. M. de Maistre, en ses Considérations et ailleurs, est, de tous les écrivains religieux, celui peut-être qui nous oblige à nous représenter de la manière la plus concevable, la plus présente et la plus terrible, le Jugement dernier ; il donne à penser là-dessus, même aux sceptiques blasés de nos jours, parce

    mysticisme, au livre des Considérations de De Maistre. Bolingbroke parle d’un écrit de Pope et du bien qui peut en résulter pour le genre humain : « J’ai pensé quelquefois, dit-il, que si les prédicateurs, les bourreaux, et les auteurs qui écrivent sur la morale, arrêtent ou même retardent un peu les progrès du vice, ils font tout ce dont la nature humaine est capable ; une réformation réelle ne saurait être produite par des moyens ordinaires : elle en exige qui puissent servir à la fois de châtiments et de leçons ; c’est par des calamités nationales qu’une corruption nationale doit se guérir. »