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elles ajoutent au portrait de Molière et donnent à sa physionomie un air plus proportionné à celui du commun des hommes. On le retrouve tel encore, et l’un de nous tous, dans ses passions de cœur, dans ses tribulations domestiques. Le comique Molière était né tendre et facilement amoureux, de même que le tendre Racine était né assez caustique et enclin à l’épigramme. Sans sortir des œuvres de Molière, on aurait des preuves de cette sensibilité, dans le penchant qu’il eut toujours au genre noble et romanesque, dans beaucoup de vers de Don Garcie et de la Princesse d’Élide, dans ces trois charmantes scènes de dépit amoureux, tant de la pièce de ce nom que du Tartufe et du Bourgeois Gentilhomme, enfin dans la scène touchante d’Elvire voilée, au quatrième acte de Don Juan. Plaute et Rabelais, ces grands comiques, offrent aussi, malgré leur réputation, des traces d’une faculté sensible, délicate, qu’on surprend en eux avec bonheur, mais Molière surtout ; il y a tout un Térence dans Molière. En amitié, on n’aurait que de beaux traits à en dire ; son sonnet sur la mort de l’abbé Lamothe-Le-Vayer et la lettre qu’il y a jointe honorent sa douleur ; bien mieux que le lyrique Malherbe, il s’entendait à pleurer avec un père. Je veux citer de Don Garcie quelques vers de tendresse, desquels Racine eût pu être jaloux pour sa Bérénice :

Un soupir, un regard, une simple rougeur,
Un silence est assez pour expliquer un cœur.
Tout parle dans l’amour, et sur cette matière
Le moindre jour doit être une grande lumière.

Oh ! que la différence est connue aisément
De toutes ces faveurs qu’on fait avec étude,
A celles où du cœur fait pencher l’habitude !
Dans les unes toujours on paroît se forcer ;
Mais les autres, hélas ! se font sans y penser,
Semblables à ces eaux si pures et si belles
Qui coulent sans effort des sources naturelles.