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mettre sur l’Église anglicane et sur ses beautés : « Eh bien, oui, madame, je conviendrai qu’elle est parmi les Églises protestantes ce qu’est l’orang-outang parmi les singes. » Ce qui doit choquer dans ce mot n’est pas ce qui tombe sur l’Église anglicane, laquelle cumule en effet toutes les cupidités et les hypocrisies. Pourtant on peut opposer de M. de Maistre un beau et touchant passage dans le Principe générateur[1]. Insistant sur la nécessité d’un interprète vivant et d’un pontife de vérité : « Nous seuls, dit-il, croyons à la parole, tandis que nos chers ennemis s’obstinent à ne croire qu’à l’écriture… Si la parole éternellement vivante ne vivifie l’écriture, jamais celle-ci ne deviendra parole, c’est-à-dire vie. Que d’autres invoquent donc tant qu’il leur plaira la PAROLE MUETTE, nous rirons en paix de ce faux Dieu, attendant toujours avec une tendre impatience le moment où ses partisans détrompés se jetteront dans nos bras, ouverts bientôt depuis trois siècles. » Tout ce passage est d’un bel accent.

Particulièrement lié à Lausanne et à Genève avec beaucoup d’hérétiques, il sut cultiver et garder jusqu’à la fin leur amitié. Un jour qu’il avait parlé avec beaucoup de feu contre les premiers fauteurs de la Révolution, Mme Huber (de Genève) lui dit : « Oh ! mon cher comte, promettez-moi qu’avec votre plume si acérée vous n’écrirez jamais contre M. Necker personnellement. » Elle était un peu cousine de M. Necker. Il promit. A quelque temps de là, vers 1819, à l’occasion, je crois, du congrès de Carlsbad ou d’Aix-la-Chapelle, parut une brochure de l’abbé de Pradt où M. Necker était maltraité. On crut un moment que M. de Maistre en était l’auteur. Quelqu’un le dit à Mme Huber : « Eh bien ! votre comte de Maistre, il vous a bien tenu parole…. »Elle répondit : « Je n’ai pas lu le livre ni ne le lirai ; mais si M. Necker y est attaqué, il n’est pas du comte de Maistre,

  1. Paragraphe XXII.