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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/474

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dation de Mazarin, mais n’ayant été livrée au public dans le local et sous la forme actuelle que bien après lui, desservie durant tout le xviiie siècle par une dynastie purement théologique de docteurs en Sorbonne, cette bibliothèque s’ouvrit, au moment de la Révolution, à des noms de conservateurs un peu mélangés. Là, Sylvain Maréchal siégea ; il fallut purifier la place. Là, Palissot, vieillard souriant, revenu de la satire, se consola dans le voisinage de l’Institut de ne pouvoir pas en être. Boullers, nommé un instant pour lui succéder en 1814, n’y parut jamais : il se contenta d’envoyer demander le premier jour, par un reste de vieille habitude, où étaient les écuries et remises du logement de Palissot, afin d’y loger sans doute les chevaux qu’il n’avait plus. Montjoie, l’auteur des Quatre Espagnols, si oublié, ne prit que le temps d’y entrer, de s’en réjouir et d’y mourir. Mais tous ces hôtes passagers qui ne pourraient qu’égayer d’une anecdote un fond si grave, que sont-ils auprès du fondateur même, je veux dire le bibliothécaire de Mazarin et le grand bibliographe d’alors, ce Gabriel Naudé dont le cachet est là partout sous nos yeux, dont l’esprit se représente à chaque instant dans le choix des livres et s’y peint comme dans son oeuvre ? C’est à lui que je m’attacherai aujourd’hui, moins encore au savant qu’à l’homme ; moi, le dernier venu et le plus indigne de sa postérité directe, je veux gagner mon titre d’héritier et lui consacrer, à lui le grand sceptique, cet article tout pieux, au moins en ce sens-là.

Un de nos jeunes et curieux amis a fait, il y a bien des années déjà, une étude de Naudé en cette Revue[1] ; il s’est appliqué à toute sa vie, s’est étendu sur ses divers ouvrages, et a pris plaisir autour de l’érudit. C’est au moraliste, au penseur, que je vise plutôt ici ; c’est l’esprit de la personne et le procédé de cet esprit que je vais m’efforcer de dégager, de faire saillir de dessous la croûte d’érudition assez épaisse

  1. Revue des Deux Mondes, 15 août 1836, article de M. Labitte.