Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/501

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plus que de la religion de Louis XI, de Philippe de Macédoine, ou du vieil et perfide Ulysse ; il cite à propos Tibère. Il donne la recette de ce qu’il croit permis au besoin, assassinat, empoisonnement, massacre ; il divise et subdivise le tout avec un sang-froid inimaginable. Les conseils de modération qu’il y mêle ne font que mieux ressortir l’immoral du fond ; on croirait par moments qu’il se joue : c’est comme un chirurgien curieux qui assemble des exemples de tous les jolis cas, ou comme un chimiste amateur qui étiquette avec complaisance tous ses poisons, en inscrivant sur chacun la dose indispensable et suffisante. Ce qui se dirait à peine dans quelque hardi colloque à voix basse et dans quelque débauche de cabinet entre un Borgia et son conclaviste, il le rédige et l’écrit[1]. Son apologie de la Saint-Barthélemy (au chap. III) est trop connue et résume le reste. Si, dans la façon dont il la présente, il se trouve historiquement quelques points de vérité incontestables, ils ne rachètent en rien l’horreur de l’action ni l’odieux du récit. Ce n’est point quand le sang coule à flots que l’historien doit faire parade d’essuyer et de braquer si posément sa lunette. Lui aussi, il lui convient d’être entraîné par le sentiment d’humanité et de se faire peuple un jour. Guy Patin ne trouvait, pour excuser son ami sur ce méfait, que l’influence du lieu où il écrivait alors. Lorsqu’on entre au Vatican, qu’aperçoit-on en effet dès la grande salle d’antichambre ? La Saint-Barthélemy peinte et Coligny immolé.

Et en cette opinion extrême, n’admirez-vous pas comme Naudé et de Maistre se rencontrent ? le grand croyant et le grand sceptique ! c’est le cercle ordinaire, le manège de l’esprit humain.

Disons-le bien vite, en ceci Naudé, encore plus que de

  1. On lit, il est vrai, dans la préface de la première édition, que le livre n’est imprimé qu’à douze exemplaires. Passe encore, cela ne sortait pas de la confidence. Mais bientôt il en courut plus de cent. Telle est l’inconséquence toujours : on n’écrit pas pour le public, et on imprime pour lui.