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avoit reconnu la moindre chose dans quelqu’un, il n’en revenoit jamais : sentiment qu’il avoit pris des Italiens. »

La mort trop prompte du cardinal de Bagni, en juillet 1641, laissa Naudé au dépourvu et comme naufragé sur le rivage. Le cardinal Antoine Barberin le prit alors à son service et le recueillit avec un empressement affectueux. L’étoile de Naudé le voua toute sa vie aux Éminentissimes. Rappelé l’année suivante en France pour être bibliothécaire du Cardinal-ministre, il ne quitta Rome que comblé des bienfaits de son dernier patron. Pourtant il semble que cette perte inopinée du cardinal de Bagni ait laissé des traces dans son humeur. Il considéra dès lors sa fortune comme un peu manquée ; il reconnut qu’après avoir tant usé de lui, de sa science et de ses services, on ne lui avait ménagé aucun sort pour l’avenir ; il en devint disposé à se plaindre quelquefois de la destinée plus qu’il n’avait coutume de faire auparavant[1]. Nous le rencontrons fréquemment les années suivantes dans les lettres de Guy Patin, et c’est à cette date seulement que la petite société de Gentilly commence. Mais, à travers ses relations resserrées avec ses amis de France, Naudé, tout occupé de former la bibliothèque du cardinal Mazarin, s’absentait encore pour de longs et nombreux voyages en Flandre, en Suisse, en Italie de nouveau, en Allemagne, rapportant de chaque tournée des milliers de volumes et des voitures tout entières. Il nous a donné le bulletin de ses doctes caravanes dans le Mascurat[2]. Enfin, au commencement de 1647, il n’eut plus qu’à coordonner son immense butin, à organiser en quelque sorte sa conquête. Ç’allait être un beau jour pour lui, le plus beau jour de sa vie,

  1. Une lettre de lui à Peiresc, du 20 juillet 1634 (Correspondance de Peiresc, tome X, manuscrits de la Bibliothèque du Roi), nous trahit le secret de toutes les démarches, sollicitations et suppliques trop peu dignes auxquelles la nécessité et la peur de manquer poussaient Naudé en terre étrangère : il subit l’air du pays.
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