Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/52

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partie d’un libelle scandaleux (la Fameuse Comédienne) publié contre la veuve de Molière, la Guérin, qui, comme tant de veuves de grands hommes, s’était remariée peu dignement. On trouve dans ce même écrit, qui ne semble pas, du reste, dirigé contre Molière lui-même, d’étranges détails racontés en passant sur sa liaison première avec le jeune Baron, – Baron qui jouait alors Myrtil dans Mélicerte. La pensée se reporte involontairement à certains sonnets de Shakspeare. Mais ignorons, repoussons pour Molière ce que dément tout d’abord son génie si franc du collier, comme la duchesse palatine d’Orléans le disait de Louis XIV, et ce que dans Shakspeare au moins on peut tenter d’expliquer honorablement et d’idéaliser[1].

Si Molière n’a pas laissé de sonnets, à la façon de quelques grands poëtes, sur ses sentiments personnels, ses amours, ses douleurs, en a-t-il transporté indirectement quelque chose dans ses comédies ? et en quelle mesure l’a-t-il fait ? On trouve dans sa vie, par M. Taschereau, plusieurs rapprochements ingénieux des principales circonstances domestiques avec les endroits des pièces qui peuvent y correspondre. « Molière, disait La Grange, son camarade et le premier éditeur de ses œuvres complètes, Molière faisoit d’admirables applications dans ses comédies, où l’on peut dire qu’il a joué tout le monde, puisqu’il s’y est joué le premier, en plusieurs endroits, sur les affaires de sa famille, et qui regardoient ce qui se passoit dans son domestique ; c’est ce que ses plus particuliers amis ont remarqué bien des fois. » Ainsi, au troisième acte du Bourgeois Gentilhomme, Molière a donné un portrait ressemblant de sa femme ; ainsi, dans la scène première de l’Impromptu de Versailles, il place un trait piquant sur la date de son mariage ; ainsi, dans la cinquième scène du second acte de l’Avare, il

  1. Le mot love employé par Shakspeare, à l’égard du jeune seigneur dont il est l’ami, n’est sans doute qu’une forme de la politesse de cour, telle qu’elle se pratiquait au XVIe siècle. Ainsi, l’on disait chez nous au XVe : Je suis avec passion, etc.