Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/115

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Dans une lettre à la duchesse de Lesdiguières, qui était son héroïne tout comme le maréchal de Clérembaut est son héros, le chevalier traduit la Matrone d’Éphèse, qui amusera aussi la plume de Saint-Évremond. En traduisant Pétrone, et dans de certains détails de mœurs qui précèdent le récit de l’aventure, le chevalier l’arrange un peu : « Je le mets dans notre langue, dit-il, non pas toujours comme il est dans l’original, mais comme je crois qu’il y devroit être. » Il se trouve ainsi que Pétrone ne nous parle que de l’aimable Phryné et de Climène, au lieu de nous parler d’autre chose ; mais ce n’est pas là un grave reproche que nous adresserons au chevalier ; sa traduction du morceau est des plus agréables à lire en elle-même, et se peut dire dans tous les cas une belle infidèle.

Pétrone, livre charmant et terrible par tout ce qu’il soulève de pensées et de doutes dans une âme saine ! Ce Satyricon est bien l’œuvre d’un démon. Que la composition y soit absente, que l’intention générale reste énigmatique, eh ! qu’importe ? chaque morceau en est exquis, chaque détail suffit pour engager. Je ne me flatte pas d’avoir rompu

    œuvres mêlées de Saint-Évremond : « Vous savez dire des choses, Lui écrit M. de Méré, et vous devez être persuadé qu’il n’y a rien de si rare. Vous souvenez-vous que Mme la marquise de Sablé nous dit qu’elle n’en trouvoit que dans Montaigne et dans Voiture, et qu’elle n’estimoit que cela ? Je m’assure que, si vous l’eussiez souvent vue, ou qu’elle eût eu de vos écrits, elle vous eût ajouté à ces deux excellents génies. » – Pascal avait fort connu Mitton, et, dans les ébauches de ses Pensées, il le nomme par moments et le prend à partie, quand il songe au type du libertin qu’il veut réfuter : « Le moi est haïssable. Vous, Mitton, le couvrez ; vous ne l’ôtez pas pour cela… » En effet, selon Mitton, « pour se rendre heureux avec moins de peine, et pour l’être avec sûreté sans craindre d’être troublé dans son bonheur, il faut faire en sorte que les autres le soient avec nous ; » car alors tous obstacles sont levés, et tout le monde nous prête la main. « C’est ce ménagement de bonheur pour nous et pour les autres que l’on doit appeler honnêteté, qui n’est, à le bien prendre, que l’amour-propre bien réglé. » C’est à cela que Pascal semble répondre directement dans son apostrophe à l’aimable égoïste.