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publiciste[1] une de ces piquantes lettres politiques qu’on n’a pas oubliée. Un autre écrivain, un critique dont le silence s’est fait également sentir, M. Gustave Planche, a publié sur Adolphe[2] quelques pages d’une analyse attristée et sévère. Plus d’une fois Benjamin Constant a été touché indirectement et d’assez près, à l’occasion de notices, soit sur Mme  de Staël, soit sur Mmes  de Krüdner ou de Charrière ; mais aujourd’hui c’est mieux, et nous allons l’entendre lui-même s’épanchant et se livrant sans détour, lui le plus précoce des hommes, aux années de sa première jeunesse.

Dans l’article que cette Revue a publié, si l’on s’en souvient, sur Mme  de Charrière[3], sur cette Hollandaise si originale et si libre de pensée, qui a passé sa vie en Suisse et a écrit une foule d’ouvrages d’un français excellent, il a été dit qu’elle connut Benjamin Constant sortant de l’enfance, qu’elle fut la première marraine de ce Chérubin déjà quelque peu émancipé, qu’elle contribua plus que personne à aiguiser ce jeune esprit naturellement si enhardi, que tous deux s’écrivaient beaucoup, même quand il habitait chez elle à Colombier, et que les messages ne cessaient pas d’une chambre à l’autre ; mais ce n’était là qu’un aperçu, et le degré d’influence de Mme  de Charrière sur Benjamin Constant, la confiance que celui-ci mettait en elle durant ces années préparatoires, ne sauraient se soupçonner en vérité, si les preuves n’en étaient là devant nos yeux, amoncelées, authentiques, et toutes prêtes à convaincre les plus incrédules.

Un homme éclairé, sincèrement ami des lettres, comme la Suisse en nourrit un si grand nombre, M. le professeur Gaullieur, de Lausanne, se trouve possesseur, par héritage, de tous les papiers de Mme  de Charrière. En même temps qu’il sent le prix de tous ces trésors, résultats accumulés d’un commerce épistolaire qui a duré un demi-siècle, M. Gaullieur ne

  1. Revue des Deux Mondes, 1er  février 1833.
  2. Revue des Deux Mondes1er  août 1834.
  3. 15 mars 1839 ; et dans mes Portraits de Femmes.