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voix noble et pure, et qui, même lorsqu’il se trompait, ne cédait qu’à des illusions généreuses. En revenant sur un sujet si bien connu de lui, M. de Rémusat retrouverait ses jeunes impressions, ses premières flammes, et il les saurait tempérer de cette lumière plus adoucie qui naît de la perspective. Ce serait une occasion heureuse de résumer et de concentrer autour d’une figure brillante tant de souvenirs personnels devenus sitôt de l’histoire[1].

Même en 1819, et dans le moment où il se livrait le plus à l’entraînement politique, M. de Rémusat n’avait pas tout à fait laissé la littérature. C’est en cette année que fut fondé le Lycée, où Charles Loyson et M. Villemain l’appelèrent. Les opinions exprimées dans ce recueil étaient en général classiques, mais modérées, ouvertes, conciliantes ; elles avaient une couleur de centre droit littéraire. M. de Rémusat y forma une sorte de côté gauche. Les deux articles qu’il a recueillis dans ses Mélanges (sur Jacopo Ortis et sur la Révolution du théâtre[2]) nous le montrent, dès l’entrée, critique aguerri et résolu novateur. Les pages dans lesquelles il compare ensemble Werther et René, à l’occasion du héros très-secondaire de Foscolo, sont d’un voisin de cette famille et qui s’est autrefois assez inoculé de ces maladies pour ne plus s’arrêter au coloris littéraire et pour ne s’attacher qu’au

  1. M. Royer-Collard me fit l’honneur une fois de me parler de M. de Serre, son ami, « le seul homme, disait-il, avec qui il ait vécu durant des années en intimité et en communication parfaite, profonde. Camille Jordan n’était pas un esprit aussi sérieux, c’était plutôt un homme charmant et du monde. Mais M. de Serre ! sérieux, imagination, éloquence, il avait tout ; il y joignait seulement la faculté de se faire des illusions. C’est ce qui l’a perdu à la fin. Il a cru sincèrement qu’il allait sauver la monarchie, et il a rompu avec ses antécédents. – Il s’étonnait que je ne le suivisse pas, ajoutait M. Royer-Collard : Moi, lui ai-je dit, je ne suis pas, je reste. Mais je ne lui en ai jamais voulu. Il y avait-entre nous de l’ineffaçable. »
  2. J’en note un troisième, qui n’a pas été recueilli, sur les œuvres de madame de Staël (Lycée, tome III, page 156).