Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus sûr serait, je crois l’avoir dit ailleurs[1], de n’avoir en soi que la faculté judiciaire, avec absence de tout talent spécial qui vous constituerait juge et partie : ainsi se réaliserait la souveraine balance. Ou bien, si le critique se mêle une fois d’avoir ses talents d’auteur, oh ! alors il n’a guère qu’une manière de s’en tirer : qu’il n’ait pas un talent seul, mais qu’il les ait tous, au moins en germe. C’est le vrai moyen de comprendre tout ce qu’on juge, presque en homme du métier et sans les inconvénients du métier. Le parfait critique, ainsi considéré, serait, donc celui qui aurait la faculté d’être tour à tour, ne fût-ce qu’un moment, artiste dans tous les genres, et de nous offrir en lui l’amateur universel. Tel est aussi M. de Rémusat. Voyez plutôt : s’il se prend à la chanson, il n’a qu’à se ressouvenir pour nous raconter comment elle naît ; s’il parle d’élégie, il a tout bas soupiré la sienne ; s’il apprécie le drame, il l’a pratiqué et a eu ses répétitions à son usage ; en philosophie, il est expert. Ainsi nous le trouvons le critique le plus ouvert et le plus sympathique, pénétrant les objets et s’en détachant, d’une impartialité qui n’est pas de l’indifférence, et qui n’est qu’une sensibilité très-étendue et rapidement diverse.

Sur les hommes en particulier, sur les auteurs, il se prononce peu et ne tranche pas. Sa politesse, son goût d’homme du monde, lui ont de tout temps interdit les jugements trop directs et qui entrent dans le vif ; mais, sous forme abstraite, il jette bien des choses. Sur l’auteur des Méditations, par exemple, il en a dit qui étaient fort justes et dont toutes ne sont pas si démenties qu’on le pourrait croire ; il ne s’agirait que de les prolonger et de les poursuivre, sans se laisser arrêter à la superficie des métamorphoses.

Quand le Globe se fit politique, la collaboration de M. de

  1. Dans l’article sur M. Magnin, Portraits contemporains (1846), tome II, page 314.