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Perdu, une pièce de vers datée de Westminster et intitulée le Tombeau de Milton.

Mais c’était la critique qui le partageait déjà et qui allait l’enlever tout entier. Il s’était fort lié avec son compatriote M. Charles Louandre, fils du savant bibliothécaire d’Abbeville, et les deux amis avaient projeté de concert une Histoire des Prédicateurs du Moyen-Age. Cette seule idée était déjà d’une vue pénétrante : c’était comprendre qu’une telle histoire présenterait beaucoup plus d’intérêt qu’on ne pouvait se le figurer au premier abord. La prédication, en ces âges fervents, représentait et résumait à certains égards le genre d’influence qu’on a vue en d’autres temps se diviser entre la presse et la tribune. Les deux amis poussèrent vivement les préparatifs de leur commune entreprise ; ils lurent tout ce qui était imprimé en fait de vieux sermonnaires, ils abordèrent les manuscrits, et, même lorsque l’idée d’une rédaction définitive eut été abandonnée, ils durent à cette courageuse invasion au cœur d’une rude et forte époque de connaître les sources et les accès de l’érudition, d’en manier les appareils comme en se jouant, et d’avoir un grand fonds par-de-vers eux, un vaste réservoir où ils purent ensuite puiser pour maint usage. Vers le même moment, Charles Labitte concevait, seul, un autre projet plus riant et qui eût été pour lui comme le délassement de l’autre, un livre sur le règne de Louis XIII et où devaient figurer Voiture, Balzac, Chapelain, l’hôtel Rambouillet, etc. ; une grande partie des matériaux amassés ont paru depuis en articles dans la Revue de Paris et ailleurs. Tout ce confluent d’études se pressait dans les premiers mois de 1836 et avant que notre ami eût accompli ses vingt ans. Il avait à cette heure renoncé définitivement aux vers, et sa voie de curiosité critique était trouvée. En échangeant une veine pour l’autre, il porta aussitôt dans cette dernière une ardeur, un sentiment passionné et presque douloureux, qu’on n’est pas accoutumé à y introduire à ce