Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/394

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Maheustre et du Manant[1], très-curieux à titre de renseignement historique, est lourd, assommant, sans aucun sel. Le Manant est un ergoteur, un procureur fanatique comme Crucé ; ce Manant n’a rien du véritable esprit français, rien de notre paysan, de notre Jacques Bonhomme, ni de notre badaud de Paris malin et mobile. Il raisonne avec une idée fixe, avec cette logique opiniâtre qui mène à l’absurde, qui aboutirait en deux temps à l’Inquisition et à 93. Il n’est, après tout, que l’organe des Seize ; ce pamphlet a tout l’air d’une vengeance sournoise décochée par les Seize in extremis contre les faux frères du parti et contre Mayenne. C’est comme qui dirait une apologie de la portion la plus exagérée et la plus pure de la Commune de Paris, qui aurait paru à la veille du 9 thermidor. En ce qui est du sentiment démocratique avancé dont on serait tenté par moments de faire honneur à l’auteur et à sa faction, prenez bien garde toutefois et ne vous y fiez guère : il y a quelque chose qui falsifie à tout instant cette inspiration de bon sens démocratique, qui le renfonce dans le passé et qui l’opprime, c’est l’idée catholique fanatique, l’idée romaine-espagnole[2]. Non, dans l’ordre naturel, la Satyre Ménippée ne saurait venir (comme paraît le désirer M. Bernard) à la queue du Maheustre et du Manant ; ce Manant reste une excentricité par rapport à l’esprit de la France, tandis que la Ménippée est bien au cœur de cet esprit : c’est elle qui mène le triomphe.

Quant aux noms des auteurs anonymes du généreux pam-

  1. Le Maheustre, ainsi nommé par une sorte de sobriquet, représente l’homme d’armes ou le noble sans conviction bien profonde et passé sous les drapeaux du roi de Navarre ; le manant représente le franc paroissien de Paris, le ligueur-ultra, et qui serait, au besoin, plus catholique que le pape.
  2. Voir notamment les pages 556, 557 (au tome III, édition de la Ménippée de Le Duchat, 1709), dans lesquelles quelques bonnes vérités sur la noblesse sont contre-pesées tout à côté par les plus serviles soumissions au clergé : les unes ne s’y peuvent séparer des autres.