Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croyaient remarquer quelque contradiction entre cette première lettre et celle de septembre suivant, dans laquelle on donne à l’abbé Nicaise quelques notes et renseignements à l’avantage de la Trappe, il est bon de savoir (ce que M. Gonod a remarqué) que la fin de cette lettre n’est pas de Rancé, mais de son secrétaire, M. Maine ; et si on recourt en effet à la Relation imprimée de l’abbé Nicaise, on y trouvera aux dernières pages les renseignements mêmes de cette lettre mis en œuvre et rapportés à M. Maine, ce qui prouve que ce passage un peu glorieux de la correspondance est bien de lui. Au reste, quelque temps après, Rancé pris pour juge reçut la Relation manuscrite de son ami ; il la lut sans dégoût, et il lui en écrivit agréablement et assez au long, non sans y insinuer quelques conseils qui ont probablement été suivis : « J’ai lu avec plaisir, disait-il, les marques de votre estime et de votre amitié ; vous m’y faites, à la vérité, jouer un personnage que je ne mérite point, et on auroit peine à m’y reconnoître. Cependant, comme il est difficile de se voir peint en beau sans en prendre quelque complaisance, j’appréhende avec raison que je n’y en aie pris plus qu’il n’appartient à un mort, et que vous n’ayez en cela donné une nouvelle vie à mon orgueil et à ma vanité, et je vous en dis ma coulpe. » Voilà qui est de l’homme d’esprit resté tel sous le froc, de celui dont Nicole disait qu’il avait un style de qualité. Le reste de la lettre appelle pourtant sur les lèvres un sourire involontaire, lorsqu’on voit Rancé entrer assez avant dans le détail de ce que l’abbé Nicaise aurait pu dire. C’est toujours un rôle délicat de donner des conseils sur un ouvrage dans lequel on se trouve loué, soit que, comme M. de La Rochefoucauld, on revoie d’avance l’article que Mme de Sablé écrivait pour le Journal des Savants sur le livre des Maximes, soit qu’ici, comme Rancé, on soit simplement consulté par l’auteur sur la Relation d’un voyage à la Trappe, et qu’on lui suggère quelque idée de ce dont il serait plus à propos