Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/448

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résultats[1]. Quoi qu’il en soit, le xviie siècle s’ouvre bien en effet avec Mme de Rambouillet, de même qu’il se clôt avec Mme de Maintenon. Le xviiie commence avec Mme la duchesse du Maine et avec Mme de Staal, de même qu’on en sort par l’autre Mme de Staël et par Mme Roland : je mets ce dernier nom à dessein, car il marque tout un avénement, celui du mérite solide et de la grâce s’introduisant dans la classe moyenne, pour y avoir sa part croissante désormais. Je sais combien le vrai goût et le plus fin a été longtemps l’apanage presque exclusif du monde aristocratique ; combien, à certains égards, et malgré tant de changements survenus, il en est encore un peu ainsi. Il ne devient pas moins évident que plus on va, et plus l’amabilité sérieuse, la distinction du fond et du ton se trouvent naturellement compatibles avec une condition moyenne ; et le nom de Mme Roland signifie tout cela. A partir d’elle on a commencé à posséder comme un droit ce qui n’était guère auparavant qu’une audace et une usurpation. Les femmes du xviiie siècle proprement dit, dont le type primitif s’est transmis sans altération depuis la duchesse du Maine, et à travers ces noms si connus de Mme de Staal-Delaunay, de Mmes de Lambert, du Deffand, de la maréchale de Luxembourg, de Mme Coislin, de Mme de Créquy, jusqu’à Mme de Tessé et à la princesse de Poix, peuvent pourtant se partager elles-mêmes en deux moitiés assez distinctes, celles d’avant Jean-Jacques et celles d’après. Toutes les dernières, les femmes d’après Jean-Jacques, c’est-à-dire qui ont essuyé son influence et se sont enflammées un jour pour lui, ont eu une veine de sentiment que les précédentes n’avaient point cherchée ni connue. Celles-ci, les femmes du xviiie siècle antérieures à Rousseau (et Mme de Staal-Delaunay en offre l’image la plus accomplie et la plus fidèle), sont purement des élèves de La Bruyère ; elles l’ont lu de bonne heure, elles l’ont prompte-

  1. Cet Allemand, qui s’appelait Juste Zinzerling, a publié son voyage sous ce titre : Jodoci Sinceri Itinerarium Galliae…, 1616.