Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/465

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vost a du faible pour les Jésuites, quoiqu’il les ait deux fois quittés. Dans une autre lettre qu’on va lire, on verra qu’il a pratiqué l’une de leurs maximes, et que s’il a prononcé à haute voix la formule de ses vœux comme bénédictin, il se vante d’y avoir ajouté tout bas les restrictions intérieures qui devaient un jour l’autoriser à les rompre. En comprenant d’ailleurs que Prevost, de l’humeur dont on le connaît, a dû avoir inévitablement à se plaindre des préventions et des tracasseries monacales, on ne saurait juger que ces préventions aient été tout à fait sans motif et sans fondement : il se chargeait lui-même de les justifier par l’issue. On l’avait soupçonné d’être dangereux ; mais ne prouvait-il pas lui-même qu’il pouvait aisément le devenir ? Sans prétendre peser les torts, on sent qu’il y avait entre la vie monastique et lui de ces incompatibilités d’humeur qui devaient s’accumuler à la longue et finir par un éclatant divorce.

Cette lettre de Prevost était encore signée Prevost, B. Il se croyait toujours bénédictin. Lorsqu’il apprit que son plan avait manqué et qu’il se trouvait dans la situation d’un fugitif que personne ne protégeait, il songea à sa sûreté personnelle très-compromise. Il n’avait voulu que changer de branche, mais, la dernière branche lui faisant défaut, il prit son grand vol, et, comme on dit, la clef des champs. Réfugié en Hollande, il s’y mit à vivre des faciles productions d’une plume qui était déjà toute taillée. C’est de là que, trois ans après, il écrivait la lettre suivante à l’un de ses anciens amis de la Congrégation de Saint-Maur, dom de La Rue, savant éditeur d’Origène. Dans cette lettre tout amicale, le côté affectueux, aimable et obligeant de l’abbé Prevost se développe avec grâce. On rentre ici dans les tons qui lui sont habituels, et dont il n’était précédemment sorti que par nécessité.

« Mon Révérend Père,

Comme mon changement ne regarde que l’enveloppe et qu’il n’y en a aucun dans mes sentiments ni dans le fond de mon caractère,