Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/50

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Comme variété de femmes chez Théocrite, et aussi éloignées du caractère pur de Theugénis que de la nature passionnée de Simétha, il faut placer les Syracusaines, qui sont le sujet de tout un petit drame piquant et satirique. Ces femmes de Syracuse sont venues à Alexandrie pour assister aux fêtes d’Adonis : on les voit au début qui s’apprêtent à sortir ensemble pour aller au palais ; elles jasent entre elles de leur logement, de leur toilette ; elles disent du mal de leurs maris. Il y a là un enfant terrible qui entend tout et qui pourra bien tout redire. Puis elles se mettent en route à travers la foule, à travers les chevaux. Au moment d’entrer au palais, elles sont en danger d’étouffer. Un monsieur les aide, et elles le remercient ; un autre se raille de leur accent dorien, et elles lui répondent de la bonne sorte. L’auteur de la Panhypocrisiade, voulant rendre le mouvement d’une foule sur le passage de François Ier, s’est ressouvenu de Théocrite :

Rangez-vous ! place ! place ! – Holà ! ciel ! – Je rends l’âme ! Au voleur ! – Insolent, respectez une femme !… – On m’étouffe ! – Poussons ! enfonçons ! – Je le voi ! Vivat ! – Je suis rompu, mais j’ai bien vu le roi.

Nos Syracusaines finissent aussi par bien voir, par entendre le chant en l’honneur d’Adonis. L’une d’elles alors s’avise qu’il est tard, que son mari n’a pas dîné ; et là-dessus elles s’en retournent au logis. Ce tableau de mœurs mériterait une étude à part. Un critique allemand a eu raison de dire que, lors même qu’on n’aurait aujourd’hui que cette seule pièce de Théocrite, on serait encore fondé à le placer au rang des maîtres qui ont excellé à peindre la vie.

Parmi les morceaux dont il me resterait à parler, et qui ne se rapportent ni au genre bucolique ni au genre élégiaque, le plus remarquable à mon sens, et qui appartient bien certainement à Théocrite encore, est intitulé les Grâces ou Hiéron. Cette expression de Grâces était très-générale et