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pas ici le vrai mot, et c’est charité qu’il faudrait dire. Oui, il y avait en ce temps-ci un critique sagace, précis, clairvoyant, et, quand il le fallait, sévère, qui obéissait en tous ses mouvements à un esprit chrétien de charité. Il en est résulté à de certains moments, sous sa plume, des pages pleines de pathétique et d’effusion.

Mais ce n’était pas aux contemporains seulement que M. Vinet réservait l’application de sa haute faculté critique. Nos moralistes, nos sermonnaires, ont exercé plus d’une fois son analyse. Montaigne, La Rochefoucauld, La Bruyère, Bourdaloue, lui ont fourni le sujet de considérations neuves et pénétrantes. Pascal surtout était son auteur de prédilection et d’étude ; les publications récentes qui ont réveillé la curiosité autour de ce grand nom avaient été pour M. Vinet une occasion naturelle de développer ses propres vues, et d’exposer dans Pascal l’homme et le chrétien. On n’a rien écrit sur ce sujet de plus intimement vrai et de plus justement senti. La totalité des articles de M. Vinet sur Pascal, si on les réunissait dans un petit volume, présenterait, selon moi, les conclusions les plus exactes auxquelles on puisse atteindre sur cette grande nature tant controversée. Au reste, si M. Vinet comprenait si bien Pascal, il ne sentait pas moins vivement les esprits d’une autre famille, et il y eut un jour où lui, l’un des pasteurs du christianisme réformé, il songea à écrire l’Histoire de saint François de Sales. Et c’était le même homme qui, dans la Revue Suisse, laissait échapper les pages les plus aimables et les plus fraîches sur Robinson Crusoé.

Les dernières années de M. Vinet ont été remplies de peines sensibles, et il est à croire que sa vie en a été abrégée. On ne sait pas assez en France qu’il y a eu en février 1845, dans le petit canton de Vaud, une révolution du genre de celle dont Genève s’est vue le théâtre en octobre 1846, mais une révolution plus radicale et sans aucun contre-poids. Ce petit canton heureux et florissant, qui depuis quinze ans était un mo-