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luptés permises, au lieu des continuels égarements. Ma prévoyance, il y a quinze ans, n’y a point songé, ou j’ai résisté à la Nature qui tout bas me l’insinuait, et la Nature aujourd’hui me le rappelle.

Nos goûts vicieux et dépravés ne sont le plus souvent que des indications naturelles faussées et détournées de leur vrai sens.

VII

Comme Salomon et comme Épicure, j’ai pénétré dans la philosophie par le plaisir. Cela vaut mieux que d’y arriver péniblement par la logique, comme Hegel ou comme Spinosa.

VIII

Il y a des hommes qui ont l’imagination catholique (indépendamment du fond de la croyance) : ainsi Chateaubriand, Fontanes ; les pompes du culte, la solennité des fêtes, l’harmonie des chants, l’ordre des cérémonies, l’encens, tout cet ensemble les touche et les émeut. – Il y en a d’autres qui (raisonnement à part) ont la sensibilité chrétienne, et je suis de ce nombre. Une vie sobre, un ciel voilé, quelque mortification dans les désirs, une habitude recueillie et solitaire, tout cela me pénètre, m’attendrit et m’incline insensiblement à croire.

IX

Je suis arrivé dans la vie à l’indifférence complète. Que m’importe, pourvu que je fasse quelque chose le matin, et que je sois quelque part le soir !

X

Je ne demande plus aux hommes qu’une chose : c’est de me laisser beaucoup de temps à moi, beaucoup de solitude, et pourtant de se prêter quelquefois encore à mon observation.