Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/56

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M. Rossignol et à en tirer la matière d’une étude un peu développée, ce serait sur cette première partie, relative à la belle époque et antérieure à la portion byzantine du sujet, que je m’arrêterais le plus volontiers et que je m’oublierais comme en chemin.

M. Rossignol établit, avant tout, ce soin scrupuleux et presque religieux que mirent les Grecs à distinguer les genres divers de poésie, et à maintenir ces distinctions premières durant des siècles, tant que chez eux la délicatesse dans l’art subsista :

La nature dicta vingt genres opposés
D’un fil léger entre eux chez les Grecs divisés ;
Nul genre, s’échappant de ses bornes prescrites,
N’aurait osé d’un autre envahir les limites…

André Chénier s’est fait, dans ces vers, l’interprète fidèle de la poétique de l’antiquité. « C’est ainsi, dit à son tour M. Rossignol, que depuis la majestueuse épopée jusqu’à la vive épigramme aiguisée en un simple distique, chaque poëme eut son style et son harmonie, ses mots, ses locutions, son dialecte propre, son rhythme particulier ; et quoique la limite qui séparait deux genres fût quelquefois légère et peu sensible, il n’en fallait pas moins la respecter, sous peine d’encourir l’anathème d’un goût difficile et ombrageux. » L’auteur donne ici de piquants exemples tirés de la métrique des anciens ; le déplacement d’un seul pied suffisait pour changer tout à fait le caractère et l’effet d’un chant. Ces races héroïques et musicales qui faisaient de si grandes choses, restaient sensibles jusqu’au plus fort de leurs passions publiques à la moindre note du poëte ou de l’orateur, et l’applaudissement soudain n’éclatait que là où la pensée tombait d’accord avec le nombre, là où l’oreille était satisfaite comme le cœur.

Théocrite le bucolique n’usait donc point du même dialecte qu’Apollonius de Rhodes et que les autres épiques de