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PREMIERS LUNDIS.

C’est l’ombre pâle d’un père
Qui mourut en nous nommant,
C’est une sœur, c’est un frère
Qui nous devance un moment.
Sous notre heureuse demeure
Avec celui qui les pleure,
Hélas I ils dormaient hier ;
Et notre cœur doute encore
Que le ver déjà dévore
Cette chair de notre chair.

Puis, quand il a tout énuméré, quand il a touché une à une toutes ces plaies du cœur, une pensée le saisit, une inquiétude le prend, qu’a ressentie quiconque est resté orphelin ici —bas ; il se demande si tous ces morts qui voient désormais la lumière se souviennent encore de nous. Soudain le rhythme change, il devient plus vif, plus pressant ; il palpite de sollicitude ; on dirait qu’à cette crainte d’un oubli le poëte tombe à genoux, et qu’il prie à mains jointes, avec sanglots, pour obtenir des morts un souvenir miséricordieux :

Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême,
Mânes chéris de quiconque a des pleurs !
Vous oublier, c’est s’oublier soi-même :
N’êtes-vous pas un débris de nos cœurs ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dieu du pardon ! leur Dieu ! Dieu de leurs pères !

Toi que leur bouche a si souvent nommé !
Entends pour eux les larmes de leurs frères,
Prions pour eux, nous qu’ils ont tant aimé !

Ils t’ont prié pendant leur courte vie ;
Ils ont souri quand tu les as frappés ;
Ils ont crié : Que ta main soit bénie !
Dieu, tout espoir ! les aurais— tu trompés ?