Page:Sainte-Beuve - Tableau de la poésie française au XVIe siècle, éd. Troubat, t1.djvu/87

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ces autres poëmes s’est perdu avec celui des événements, comme il arrive trop souvent dans notre oublieuse France, ce serait pour l’antiquaire une belle tâche de les exhumer et de les produire au jour [1]. Quoi qu’il en soit de ces conjectures ou de ces désirs, et sans remonter plus haut que le milieu du xve siècle, époque où finit cette rivalité cruelle et où la découverte de l’imprimerie vient assurer aux travaux de la pensée une notoriété authentique, si l’on se demande quel était alors l’état de la poésie en France, et qu’on en veuille, pour ainsi dire, dresser l’inventaire, on est à la fois surpris et du nombre prodigieux des ouvrages écrits en vers, et de la pauvreté réelle qui se cache sous cette stérile abondance. Une sorte de décadence pédantesque semble régner et s’étendre, avant qu’aucune maturité fructueuse ait eu son jour. Les romans de chevalerie sont sortis désormais du domaine de la poésie et des rimes, pour circuler de plus en plus terre à terre en prose ; on peut dire, sans trop de plaisanterie, que les chevaliers sont mis à pied. Quant aux vers, le genre allégorique domine : c’est encore le Roman de la Rose et sa menue monnaie, retournée et distribuée en cent façons ; c’est toujours Dangier, Malebouche, Franc-vouloir, ou Faux-rapport, et, à côté de ces éternelles visions de morale galante, ce sont les devis grivois, les

  1. Guillaume de Machault est encore inédit. Voir le Choix des Poésies d’Eustache Deschamps, publié par M. Crapelet, et ce qu’en dit M. Vaultier (Mémoires de l’Académie de Caen, 1840).