Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/110

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le diamant, ravivez-y cent fois ces pures empreintes ! Comme les souvenirs ainsi communiqués nous font entrer dans la fleur des choses précédentes, et repoussent doucement notre berceau en arrière ! comme ils sont les nuées de notre aurore et le char de notre étoile du matin ! Les plus attrayantes couleurs de notre idéal, par la suite, sont dérobées à ces reflets d'une époque légèrement antérieure où nous berce la tradition de famille et où nous croyons volontiers avoir existé. Mon idéal à moi, quand j'avais un idéal humain s'illuminait de bien des éclairs de ces années dont je n'ai jamais pu recueillir que les échos. Au milieu des rentrées pavoisées de d'Estaing et de Suffren que me déroulait la fantaisie, je me suis peint souvent le grand escalier de Versailles où m'aurait présenté mon père en quelqu'un de ses voyages et, quand je voguais dans les chimères, c'est toujours à l'une des chasses de ces royales forêts que je transportais invinciblement ma première entrevue avec M. de Couaën, mais avec M. de Couaën honoré et puissant alors, comme il le méritait. N'êtes-vous donc pas ainsi, mon ami ? ne vous semble-t-il pas que vous ayez vécu avec pompe et fraîcheur en ces années que je vous raconte ? Ces matins pourprés du Consulat n'ont-ils pas une incroyable fascination de réminiscence pour vous qui n'étiez pas né encore ? N'avez-vous pas remarqué comme le temps où nous aurions le mieux aimé vivre est celui qui précède immédiatement le temps où nous sommes venus ?

Privé de mes parents je ne manquai donc d'aucun des soins affectueux qui cultivent une jeune nature. Mon oncle, qui habitait la campagne où il avait quelque bien et toute la famille de ma mère, éparse aux environs, faisaient de moi l'objet de mille complaisances. Mon père ne m'avait laissé que des cousins éloignés et des amis que la Révolution dispersa encore, mais dont les survivants ne perdirent jamais de vue en ma personne