Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/148

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madame de Couaën déjà arrivée et établie ; nous y dînions en famille, je la reconduisais à la brune et m'en revenais ensuite coucher à mon faubourg : je servais ainsi de lien, de messager continuel entre madame de Cursy et sa nièce.

Mes heures du matin, vous ai-je dit, étaient très employées à la lecture, à l'étude, à me mettre au fait des sources nombreuses de science qu'offrait alors Paris : cet âge actif de la jeunesse embrasse tout, suffit à tout. Je fréquentais plusieurs fois par décade, au Jardin des Plantes, le cours d'histoire naturelle de M. de Lamarck  ; cet enseignement, dont je ne me dissimulais d'ailleurs ni les paradoxes hypothétiques, ni la contradiction avec d'autres systèmes plus positifs et plus avancés, avait pour moi un attrait puissant par les graves questions primordiales qu'il soulevait toujours, par le ton passionné et presque douloureux qui s'y mêlait à la science. M. de Lamarck était dès lors comme le dernier représentant de cette grande école de physiciens et observateurs généraux, qui avait régné depuis Thalès et Démocrite jusqu'à Buffon ; il se montrait mortellement opposé aux chimistes, aux expérimentateurs et analystes en petit, ainsi qu'il les désignait. Sa haine, son hostilité philosophique contre le Déluge, la Création génésiaque et tout ce qui rappelait la théorie chrétienne, n'était pas moindre. Sa conception des choses avait beaucoup de simplicité, de nudité, et beaucoup de tristesse. Il construisait le monde avec le moins d'éléments, le moins de crises et le plus de durée possible. Selon lui,les choses se faisaient d'elles-même, toutes seules par continuité, moyennant des laps de temps suffisants et sans passage ni transformation instantanée à travers des crises, des cataclysmes ou commotions générales des centres, nœuds ou organes disposés à dessein pour les aider et les redoubler. Une longue patience aveugle, C'était son Génie de l'Univers.