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VOLUPTÉ



Mon ami, vous désespérez de vous ; avec l’idée du bien et le désir d’y atteindre, vous vous croyez sans retour emporté dans un cercle d’entraînements inférieurs et d’habitudes mauvaises. Vous vous dites que le pli en est pris, que votre passé pèse sur vous et vous fait choir, et, invoquant une expérience malheureuse, il vous semble que vos résolutions les plus fermes doivent céder toujours au moindre choc comme ces portes banales dont les gonds polis et trop usés ne savent que tourner indifféremment et n’ont pas même assez de résistance pour gémir. Pourtant, vous me l’avez assez de fois confié, votre mal est simple, votre plaie unique. Ce n’est ni de la fausse science, ni de l’orgueilleux amour de la domination, ni du besoin factice d’éblouir et de paraître, que vous êtes travaillé. Vos goûts sont humbles ; votre cœur modeste, après le premier enivrement des doctrines diverses, vous a averti que la vérité n’était pas là, bien qu’il y en eût partout des fragments épars. Vous savez que les disputes fourvoient, que l’étude la plus saine, pour fructifier, doit s’échauffer à quelque chose de plus intime et de plus vif ; que la science n’est qu’un amas mobile qui a besoin de support et de dôme ; océan plein de périls et d’abîmes, dès qu’il ne réfléchit pas les cieux. Vous savez cela, mon ami, et vous me l’avez exprimé souvent dans vos lettres ou dans nos dernières causeries, mieux que je ne le pourrais reproduire. Vous n’avez non plus aucune de ces sottes passions artificielles qui s’incrustent comme des superfétations