Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/153

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était au fond de ce reproche général qu'elle m'adressait : son insistance tenait plutôt à ce point qu'à tout le reste. Etait-elle précisément soupçonneuse ? Etais-je en faute ? Qu'y avait-il déjà ? Il n'y avait rien qui se pût appeler du moindre nom, et pourtant, lorsqu'après avoir insisté et combattu longtemps dans les hauteurs, elle se rabattit tout d'un coup sur ce grief, honteuse et troublée du mot qui lui échappait, le ton dont je m'expliquai là-dessus la blessa par quelque aigreur. Elle me cria chut avec souffrance, comme pour arrêter à temps ma parole :

« Quel ton inouï vous avez ! ” dit-elle. Je ne pus m'empêcher de répondre : “ C'est aux choses que vous dites chut, bien plus qu'au ton ! ” Nous brisâmes par un silence. Un moment après, je trouvai encore moyen d'être dur à propos des enfants dont elle me parla : en fait de préceptes d'éducation, j'étais dur volontiers, sévère comme quelqu'un qui connaît déjà la corruption du cœur ; elle était indulgente et confiante au bon naturel, comme l'innocence.

Nous nous quittâmes mal, ou du moins je la quittai mal ce soir-là.

Demain elle n'y songera plus, me disais-je au retour pour m'étourdir ; et j'allais, tantôt peiné de la peine que je lui avais dû faire, tantôt m'irritant à l'idée de sa facilité d'oubli. Le lendemain de bon matin contre mon ordinaire, j'étais à Auteuil ; en me voyant entrer, les larmes lui vinrent : “ J'ai eu tort, dit-elle, de vous faire ces reproches ; mais vous avez été un peu rude pour la forme. J'ai eu bien tort pourtant. ” Et elle s'accusait elle-même dans son caractère en louant mon amitié ; elle s'imputait de troubler les meilleurs moments par ses tristes humeurs. - “ Oh ! non pas, m'écriai-je alors. C'est moi seul qui ai eu tout le tort ; promettez que vous croirez que c'est moi seul qui l'ai eu. ” Et quand elle eut dit oui, nous sortîmes vers le bois, dans la rosée partout brillante, chacun avec une larme aux paupières. Tout en marchant, je