Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/180

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Nous bénirons son malheur, nous l'adoucirons. Une vie de campagne et d'isolement absolu sera la nôtre. Nous reverrons Couaën un jour, quoi que vous en disiez ; vous y serez avec nous. Mes enfants grandiront, et vous les formerez de vos soins ; ma propre enfance refleurira. Nous deviendrons pieux en pratique, nous célébrerons ensemble les anniversaires de la mort de ma mère ; nous ferons le bien. C'est le moyen sûr d'éloigner du cœur les haines qui sont en nous un poison. Déjà vous êtes plus calme et résigné, je vous vois moins de ces colères ambitieuses à propos des choses inaccessibles ; vous ne détestez plus personne au monde, n'est-ce pas ? Il en sera ainsi de lui ; nous le forcerons de rendre grâces de ses maux. Nous croirons bien tous à l'autre vie, car celle-ci ne suffira jamais à l'étendue de nos affections et de notre bonheur. ” Ainsi parlait la femme pure, et je l'écoutais muet d'enchantement. La femme pure croit à ces plans d'avenir, elle serait capable de s'y conformer jusqu'au bout avec félicité, et je la juge par là bien supérieure à l'homme. Mais l'homme qui aime, et qui, entendant ces arrangements heureux tomber d'une bouche persuasive, y croit un moment et s'estime capable d'y prêter sa vie, n'est réellement pas de force à cela comme il le pense. Tandis que la femme aimée, au cœur pudique, confiante et sans désir, est assez comblée de voir à côté d'elle son ami, de lui abandonner au plus sa main pour un instant, et de le traiter comme une sœur chérie, l'homme, fût-il doué du Ciel comme Abel ou Jean, souffre inévitablement en secret de sa position incomplète et fausse ; il se sent blessé dans sa nature secondaire, sourdement grondante, agressive ; les moments en apparence les plus harmonieux lui deviennent vite une douleur, un péril, une honte ; de là des retours irrités et cruels.